Ou comment, en partant d’une simple vidéo filmée aux US dans les 90’s, on en est venu à évoquer l’organisation de la « résistance » française de l’époque… Tranche d’Histoire !
Avec la participation de Armen Djerrahian et Bruno « Pépé » Peyrichoux
Au début des années 90, le bmx n’est pas au meilleur de sa forme… Il n’y a plus de magazine en France, les riders se font rares, les marques de cycles et les médias préfèrent le vtt, mais heureusement quelques irréductibles se bougent pour maintenir le sport à flot ! Aux USA, des riders ont repris le business en main, Mat Hoffman en tête, avec sa marque Hoffman Bikes et sa folle série de contests, les Bicycle Stunt Series. Rick Moliterno lance sa marque Standard, Chris Moeller développee S&M… Et en France, Jean-Claude (Cycles Jean-Claude à Chelles) et Pépé (California Style à Limoges) font figures de résistants dans ce paysage morose où l’avenir du bmx ne tient qu’à un fil. Alors quoi de plus logique que d’unir leurs forces pour proposer le meilleur matos US du moment aux riders français !? Cette entente se fera via la société de distribution Fresh Bikes, avec Armen Djerrahian puis Lionel Cardoso. Et lorsqu’en Septembre 1994 Mat Hoffman organise son Bicycle Stunt Comp chez lui à Oklahoma City, à une date proche du salon Interbike Trade Show de Los Angeles, nos 4 frenchies foncent de l’autre côté de l’Atlantique, à la source du bmx business… Pépé, Jean-Claude, Armen et Lionel (avec son bike) font une première halte à Oklahoma City, chez Mat avec le gratin du free du moment, pour un contest complètement barré, à des années-lumières des compèts aseptisées qu’on verra 20 ans plus tard… Les riders balancent leurs runs au milieu d’un public out-of-control et les mecs prennent tous les risques avec leurs bikes de 20 kg ! Le contest avait fait l’objet d’un report dans une vidéo Props (issue 4), avec quelques secondes du run de flat de Lionel, cocorico, mais Armen avait lui aussi dégainé son camescope pour nous ramener des images inédites des riders pros !!
Au programme, 25 mn d’une folle session nocturne de park avec Rob Nolli, Dennis McCoy, Mat Hoffman, Jay Miron, Rick Thorne… Puis 20 mn de flat avec les pointures du moment : Day Smith, Trevor Meyer, Sean McKinney, James White, Albert Retey… Et pour finir, 25 mn de big rampe avec Dennis McCoy, Mat Hoffman, Jay Miron, Kevin Robinson, Steve Swope, le vent violent n’empêchant pas quelques folles tentatives de 900…
Mai 2020, Pépé se souvient : « C’est un super souvenir ! Si tu demandes à un catho si il veut aller à Lourdes ou un musulman à la Mecque, nous on était chez Mat !! Un super souvenir grâce à Jean-Claude… et au tour operator Armen. Sur le contest, un truc qui m’avait marqué, c’était Brad Blanchard (Dirt Bros) sur la funbox, il avait inventé le « bike varial », une sorte de backflip du vélo où t’avais juste la poignée qui tournait dans la main. Il lâchait une main et les 2 pieds… Première fois que je voyais ça ! Je me souviens aussi de Jay Miron, les sessions de nuit, avec des gros 3-6 table sur le spine ! Je me souviens avoir discuté avec mon anglais moyen avec Eddie Roman, j’étais fan de ses vidéos bien sûr…
C’est l’année où on avait fait une sorte d’entente morale pour Fresh Bike avec Jean-Claude, avec Armen qui s’occupait des commandes chez toutes les marques du moment : Hoffman Bikes, S&M, Standard, UGP, Homeless, Poor Boy, 2B… »
Armen se souvient lui-aussi : « On établissait notre plan de survie… On voulait éviter que tout le monde aille acheter leur matos en direct chez les marques, parce que ça squeezait par rapport aux prix, et surtout il restait très peu de magasins de bmx en France… Il valait mieux regrouper nos forces et faire un truc qui soit plus crédible auprès des marques, plutôt que chacun aille de son côté et appelle Chris Moeller ou Mat Hoffman pour faire des trucs… Si Jean-Claude ne m’avait pas suivi dans ma folie, le bmx en France aurait certainement vécu un bien triste destin. »
Et quand on creuse un peu l’histoire, Armen se prête volontiers aux confidences sur cette période creuse : « Avais-je le choix? Personne ne faisait rien et laissait le bateau couler. Ce qui m’a motivé, c’est notre crew de parisien en vérité. Je ne pouvais pas accepter qu’on soit autant et que l’on ait rien. Faire partie d’une organisation officielle type FFC, je me voyais pas faire des courbettes. J’avais des rêves plus ambitieux. Il nous fallait du matos qui ne soit pas de mauvaises copies thaïlandaises venant de chez V2000 et qui ont failli coûter la vie à Patrice Kharoubi.
Y’avait rien en France alors que l’Angleterre ou l’Allemagne étaient à la page. Je suis allé voir Jean-Claude qui était le dernier magasin en région parisienne. Quand je suis rentré dans le shop, j’ai flippé, y’avait « RIEN »… Jean-Claude m’a dit « tout le monde me réclame du matos que je ne peux pas avoir ou qui sera trop cher une fois en boutique ». Je lui ai dit « on s’en fout des autres, vient on fait notre truc, nous ». Il m’a d’abord payé un premier voyage aux US où je suis parti seul et ai ramené deux sacs énormes de pièces rares et surtout de tee-shirts, vidéos et autres pegs… Tout est parti en 48h!!!! Jean-Claude m’a donné le OK, et Fresh Bike est né.
Un des points de départ de Fresh Bike ça a surtout été les vidéos que je ramenais. Et surtout, le fait que j’ai forcé tous les ricains à se démerder pour nous faire des versions PAL. Même les anglais ou les allemands achetaient tout en NTSC, si t’avais pas un magnétoscope international, t’étais cuit… Tout est parti des vidéos en vérité ! C’est ça que l’on a ramené en premier : Head First, Ride On, Baco, Props…
Puis on s’est fait un premier voyage avec Jean-Claude et 3 potes à lui de Marseille (rien à voir avec le bmx) et nous sommes partis en Pennsylvanie sur un contest de malade ou j’ai rencontré Joe Rich et Luc-E, revu les Baco Boys qui étaient devenus des potes… Puis nous sommes allé chez Kevin Jones à York où nous avons passé la journée avec les Plywood Hoods. Partout où nous allions, on ramenait des trucs pour la boutique. Kevin fabriquait ces rondelles « Washer » pour trafiquer les moyeux à rétro, on lui en a acheté je sais pas combien. Jean-Claude a tout de suite compris l’émergence du marché parallèle et l’importance de faire confiance aux pros ricains qui eux reprenaient tout en mains. Finis les importateurs V2000, ou l’autre qui faisait GT, mais dont le bmx était sa dernière priorité. C’était à nous de reprendre les rennes. C’est comme ça et dans cette dynamique que l’on a monté le team avec Alexis Desolneux et John Petit, puis Lionel Cardoso. John a dû mettre le bmx de côté pour finir ses études et est parti vivre en Guadeloupe, alors on faisait les voyages à trois avec Alex et Lionel.
Et surtout, on se devait de ramener du matos pour la boutique, les voyages n’étaient pas gratuits. Tout le monde mettait la main à la pâte. Mat, Kevin et les autres, j’avais déjà leur confiance depuis Bercy, il nous fallait obtenir S&M qui était plus compliqué parce que la demande était folle. Quand Chris Moeller m’a dit « je sais que tu fais Hoffman Bikes et qu’ils sont contents de vous, on vous donne la distrib exclusive pour la France », on était en fusion… Sauf que S&M ne livrait pas. Tout partait aux US, puis UK… Ils avaient du mal à suivre en terme de production. Et nous ne commandions pas assez pour que cela représente quoi que ce soit à leurs yeux. Certains magasins ont essayé de nous squeezer en contactant les marques en direct qui bien sûr nous alertaient direct. Pépé m’a justement rappelé cet épisode où un jour il avait dû commander du matos en Angleterre parce que nous n’avions pas été livré à temps. La réflexion de tout cela c’est que seul on ne fait rien, il nous fallait un associé et réunir nos forces. Jean-Claude est parti voir Pépé car pour nous le plus important était la crédibilité du magasin et qui le tenait. C’est comme ça que Pépé et Jean-Claude on fait ce partenariat sur S&M et que nous sommes partis sur ce contest en Oklahoma chez Mat puis à Los Angeles pour le Interbike Trade Show.
Fresh Bike étant donc un sous-label de Cycles Jean-Claude, les magasins n’aimaient pas ça. Ils étaient persuadés que Jean-Claude gardait tout pour lui, mais la vérité c’est que les marques ne fabriquaient pas assez pour satisfaire le marché mondial. S&M se fabriquait dans le garage de Chris Moeller. T’imagines la demande ??!!! Les seuls qui étaient « on time » c’était Standard Bikes, ils devaient avoir une usine. Et surtout très important, il fallait tout payer à l’avance !!!!! En gros, les ricains dépendaient de nos commandes en Europe pour produire. Imagine les sommes que Jean-Claude sortait sans aucune assurance que l’on ait le matos en temps. »
Après le contest, Armen, Jean-Claude et Pépé ont donc filé vers le salon Interbike Trade Show de Los Angeles, abandonnant Lionel à ses 24h de bus pour rejoindre son stage de 12 mois chez Full Cycle, un bmx shop de Philadelphie…
Et pour les plus curieux, voici le reportage de la Props 4, à 33:12, dans une version bien abimée par le redimensionnement automatique de YouTube. On y voit Lionel Cardoso en plein run à 34:34 :
Côté presse papier, les magazines anglais Ride UK et Dig avaient publié un reportage sur ce contest :
Et pour la petite anecdote, un an plus tôt, au même endroit le bike park Hoffman Bikes sortait juste de terre, Mat y organisait déjà une manche de ses Bicycle Stunt Series et pour donner le ton, il se faisait tracter par une moto avant de s’envoyer en l’air sur sa fameuse rampe de plus de 6m… L’histoire était en marche !
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Texte / interview : Seb Ronjon
Vidéos : Armen Djerrahian, Props Visual Ltd
Photos : Brad McDonald, Bruno Peyrichoux, Armen Djerrahian, Mark Losey, Jason Cox, Jay Simmons
Documentation : Eric Rothenbusch
Merci à tous…