Voici l’histoire d’une vidéo par son réalisateur, Steve Emig, traduit avec son accord depuis son blog steveemigthewhitebear.substack.com. Dans les années 80, Steve bossait pour les magazines BMX Action et Freestylin’. Il travaillait également chez Unreel Productions (Vision Street Wear) qui avait signé la vidéo Freestylin’ Fanatics. Et plus tard, en 1993, Steve réalisait également la mythique vidéo S&M 44 Something, entre autre.
Pourquoi j’ai réalisé la vidéo de BMX freestyle The Ultimate Weekend en 1990 ?
Par Steve Emig
Personne n’avait encore réalisé la vidéo de BMX freestyle que je rêvais de regarder à la fin des années 1980, puis le matériel vidéo bon marché est apparu, alors j’ai essayé de réaliser cette vidéo moi-même.
Ma mère avait une ultime copie de cette VHS, probablement non regardée depuis plus de 20 ans. Le titre est en haut, pour qu’il apparaisse facilement dans un présentoir de vidéoclub. Elle se trouve dans une boîte en noir et blanc parce que j’ai réalisé moi-même le graphisme de la boîte et que je suis nul en graphisme. Il s’agit d’un négatif Xerox d’une photo signée Mike Sarrail, avec Keith Treanor en high air au-dessus de John Povah du côté de Ocean View High. J’ai acheté la musique au groupe punk The Stain, des musiciens très talentueux de Toledo (Ohio), et je les ai crédité sur la jaquette. Voici la vidéo intégrale :
Ouais, cette version YouTube est brute, numérisée à partir d’une cassette VHS vieille de plus de 25 ans qui a été visionnée de nombreuses fois. Le son est mauvais, mais c’est la seule version de ma vidéo à laquelle j’ai accès aujourd’hui. J’ai perdu la cassette principale lors d’un déménagement en 2008, ainsi que toutes mes copies personnelles avant cela. C’est le projet vidéo dont je parle dans cet article. Cet article traite du fait de se lancer dans un projet créatif important (pour vous) que vous n’êtes pas sûr de pouvoir mener à bien. Je ne dis pas que j’ai réalisé la meilleure vidéo de BMX de tous les temps ou quoi que ce soit d’autre. Aller au bout du projet de produire cette vidéo a été un grand saut personnel pour moi, et cet article parle de la raison pour laquelle j’ai décidé de le faire.
Le BMX freestyle a changé le cours de ma vie et m’a donné une direction à suivre lorsque j’ai quitté le lycée. C’était à Boise, dans l’Idaho, en 1984. J’ai commencé à rouler sérieusement en BMX dans un terrain vague en 1982, et j’ai réussi à entrer dans l’industrie du BMX en 1986, à l’âge de 20 ans, grâce à un fanzine que j’avais publié. Ce fanzine a alors débouché sur un vrai job dans un magazine, qui consistait à éditer une newsletter et à être roadie pour les contests organisés par l’AFA (American Freestyle Association). Cela m’a aussi donné l’occasion de produire des vidéos à petit budget, ce qui m’a conduit à travailler chez Unreel Productions, la société vidéo de Vision. Pas de plan de carrière, un travail en entraînait un autre.
À la fin de l’année 1989, l’industrie du BMX était « dead » et la vague du skateboard des années 1980 commençait à s’effondrer. Unreel Productions, où je travaillais, a été dissoute en janvier 1990, alors que les USA entraient dans une longue récession. J’ai alors été transféré au siège de Vision pendant 6 mois et je restais assis à ne rien faire, m’ennuyant à mourir la plupart du temps. Mais j’avais un salaire régulier. Cela ressemble à un job de rêve pour beaucoup, mais ça m’a rendu fou. J’aime être occupé à faire des choses. Il fallait que je me projette sur autre chose…
Lors de la première vague des années 80, le BMX freestyle était une affaire de magazines. Nous lisions les news, qui dataient de trois mois, dans les magazines. On voyait les nouvelles figures sur des photos dans les magazines. Vous pouvez consulter des scans de vieux magazines BMX ici , ici ou là, pour voir ce que je veux dire.
Il y a eu des vidéos de BMX freestyle dans les années 80, mais elles étaient réalisées dans le style Wayne’s World, avec du matos de télé, ou bien les marques de BMX engageaient des sociétés de production vidéo industrielle pour réaliser leur vidéo. Le matériel de production vidéo coûtait très cher au début des années 80. Engager une société de production était très onéreux, et si ces personnes savaient comment réaliser de bonnes vidéos sur le plan technique, elles ne connaissaient rien au BMX freestyle. Ils avaient tendance à réaliser ces projets dans un style documentaire, ce qui a donné lieu à des vidéos comme celle de la BMX Action Trick Team, Rippin’, qui est sortie en 1985. Rippin’ était une vidéo très bien filmée et très bien produite en 1985. R.L. Osborn et Ron Wilton étaient de grands riders de l’époque. Mais la vidéo est vraiment chiante après 3 ou 4 visionnages. Ce n’est pas la faute des riders, c’est juste que les freestylers qui mataient ces vidéos voulaient voir plus d’action et moins d’images de la vie quotidienne, dans une vidéo qui coûtait 30$ plus les frais de port. Le problème était le format, et Rippin’ a fait perdre beaucoup d’argent à ses producteurs. Il n’y avait tout simplement pas assez d’action dans cette vidéo. Il n’y avait aucun moyen de le savoir à l’avance, et cette vidéo est devenu un cas d’école.
La même année, le magazine concurrent BMX Plus! a publié Freestyle’s Raddest Tricks et a pris une direction quelque peu différente. Il s’agit toujours d’une forme de vidéo documentaire, mais le rythme est plus rapide et la narration est assurée en partie par le pionnier du BMX freestyle, Bob Haro, par le rédacteur en chef de BMX Plus!, McGoo, et par le photographe John Ker. Cette vidéo comporte plus de top riders, et plus de ride, grâce à son format plus dynamique. Freestyle’s Raddest Tricks s’est bien vendue et a donné lieu à deux autres vidéos de BMX Plus!, Rad TV et 101 Tricks.
C’est la première vidéo de BMX pour laquelle j’ai déboursé 35$, ce qui n’était pas rien quand je travaillais pour 3,25$ de l’heure chez Pizza Hut. Je l’ai regardée 7 fois le jour où je l’ai reçue, dont deux fois en faisant un balancing sur mon bike dans le salon. Réellement ! J’étais vraiment con. Mais c’était dingue de voir tous ces pros dans leurs tenues complètes, casqués, même pour faire du flat, et ils ridaient dans des endroits mythiques comme à Venice Beach.
En 1990, les principales vidéos de BMX freestyle que j’avais regardées étaient Freestyle’s Raddest Tricks, la GTV, et le film australien BMX Bandits, avec une jeune actrice rousse nommée Nicole Kidman. BMX Bandits, qui date de 1983, était diffusé en boucle sur HBO à la fin des années 1980, si bien que beaucoup d’entre nous l’ont regardé plusieurs fois. C’était l’un de ces films qui passaient souvent le samedi matin, lorsque nous nous ennuyions, avions la gueule de bois ou n’avions rien de mieux à faire. Unreel Productions a sorti Freestylin’ Fanatics en 1989, qui était meilleur, mais qui ne représentait toujours pas ce que mes amis et moi faisions tous les jours sur nos bikes. Ces vidéos, ainsi que les rushes des contests que je tournais pour Unreel, étaient les vidéos que je regardais le plus souvent, en tant que rider passionné à l’époque.
C’est aussi à cette époque que sont apparus le film Rad, le film Quicksilver sur les coursiers à vélo, qui comportait une scène de jam de flat, mais aussi le film autoproduit, épique et sans budget sur le BMX et le kung-fu d’Eddie Roman, Aggroman, les vidéos de Don Hoffman sur les contests dans les skateparks, et les deux premières vidéos de Mark Eaton, Dorkin’ in York, ainsi que la vidéo sur les Curb Dogs. La vidéo Curb Dogs, réalisée par un producteur professionnel qui avait une bonne distribution mais des valeurs pas terribles, ainsi que les vidéos Dorkin’ sont en fait les plus proches de ce vers quoi le BMX et tous les sports d’action ont fini par se diriger, une fois que de nombreux riders ont commencé à réaliser leurs propres vidéos.
Alors que la vague des années 80 atteignait son apogée, quelque chose d’autre se produisait. Un nouveau type d’équipement vidéo voyait le jour. Entre la VHS grand public et le matériel vidéo de qualité professionnelle, de nouveaux équipements pour les consommateurs sont apparus et ont commencé à être financièrement accessibles. Les caméras et magnétoscopes S-VHS, ainsi que les caméras Hi-8, sont devenus abordables pour le grand public. Fin 89, j’ai acheté une caméra S-VHS pour 1100$, c’était l’une des moins chères du marché. J’ai commencé à m’amuser, à tourner quelques séquences ici et là avant de me lancer sérieusement dans la production de mes propres vidéos.
Nous, les employés d’Unreel Productions, savions que les choses devenaient compliquées chez Vision, notre société mère, alors que la vague du skateboard commençait à s’estomper. Mais la dissolution d’Unreel a quand même pris la plupart d’entre nous par surprise. Comme j’étais le moins bien payé et que je pouvais faire fonctionner la plupart des équipements, j’ai été l’une des deux personnes à rester, et nous avons rapidement déménagé au siège de Vision à Santa Ana, en Californie. Rapidement, l’autre personne a trouvé un vrai travail à la télé à Hollywood, si bien que je me suis retrouvé seul dans le bureau, sans grand-chose à faire. Une fois par semaine, le patron de Vision avait un petit projet à me confier. Au printemps 90, alors que la saison des pluies en Californie du Sud touchait à sa fin, j’ai décidé qu’il était temps de produire ma propre vidéo de BMX freestyle. C’était un projet que j’avais en tête depuis quelques années, mais je n’étais pas du tout sûr de pouvoir le réaliser.
J’ai commencé à tourner des séquences avec ma caméra vidéo S-VHS les week-ends, avec les riders que je côtoyais. J’avais déjà produit 7 vidéos de BMX, 6 pour l’American Freestyle Association en 1987, et j’en ai produit et monté une pour Ron Wilkerson chez 2-Hip en 1989. J’étais également présent lorsque Unreel a réalisé Freestylin’ Fanatics. Je n’ai pratiquement pas eu mon mot à dire sur la manière dont cette vidéo a été réalisée. C’était une partie de mon inspiration. Je voulais faire une vidéo de BMX freestyle qui sonne vraie, et surtout avec des images fraîches et actuelles. Le BMX freestyle, et en particulier le street, progressait incroyablement vite à l’époque, et personne ne documentait vraiment cette évolution.
Ma question était donc la suivante : « mais pourquoi personne ne réalise une vidéo de BMX digne de ce nom avec de vrais riders récents ? » Pas d’uniforme ou de casques de motocross pour le flatland ! Juste du vrai street riding sur de vrais spots de street, avec plein de riders différents avec des styles différents, faisant des tricks différents. Personne ne réalisait la vidéo que je voulais regarder tous les jours avant d’aller rouler, alors je me suis dit : « Eh ben, je vais la faire moi-même ! » C’est souvent comme ça que commencent de nombreux projets très intéressants.
J’ai commencé tranquillement, en filmant différents pilotes tous les 15 jours. Puis plus souvent et sur des spots différents lorsque j’ai commencé à rider avec les mêmes gars, à visiter des endroits qui n’avaient pas été filmés dans les quelques vidéos de l’époque. J’ai tourné des images de BMX freestyle dans la région d’Orange County au printemps et à l’été 90, l’année qui a suivi la « mort » du BMX freestyle. L’argent avait disparu de ce sport, les poseurs étaient tous partis poser ailleurs. Il ne restait plus que les purs et durs, et même la plupart des pros n’avaient pas de gros sponsors à l’époque, certains n’en avaient même pas du tout. Nous roulions pour l’amour du BMX et la progression était rapide, en particulier dans le street.
Au fur et à mesure que j’avançais dans le projet, que les images et les feuilles de dérushage s’accumulaient, je me suis demandé : « Mais quel est l’intérêt d’une vidéo de BMX freestyle ? ». J’ai passé pas mal de temps à réfléchir à cette question. Ma réponse a été la suivante : « Une vidéo de BMX doit vous donner envie d’aller rider… tout de suite ». L’intérêt de regarder une vidéo est de se lever du canapé et d’être prêt à aller rider, immédiatement, et à repousser nos propres limites. J’ai réalisé la vidéo que je pensais devoir être réalisée en 1990, alors qu’il n’existait pratiquement aucune vidéo de pur riding.
Pour les gens d’aujourd’hui, qu’ils réalisent une vidéo sur les sports extrêmes ou tout autre type de projet créatif, la question récurrente est la suivante : « Que pensez-vous qu’il faille vraiment faire MAINTENANT, dans notre monde d’aujourd’hui ? ». La réponse diffère d’une personne à l’autre et d’un type d’activité créative à l’autre. Mais le processus de base qui consiste à avoir des idées, à les trier et à prendre la décision d’aller jusqu’au bout d’un projet important (pour vos compétences) reste pratiquement le même. La technologie que vous utilisez changera au fil du temps et pour différents projets. Mais le processus mental qui consiste à décider, à s’engager, puis à se mettre au travail et à terminer le projet, reste pratiquement le même. C’est l’objet de cet article. Y a-t-il un gros projet auquel vous avez pensé ? Ce projet vaut-il la peine d’être réalisé ?
Au milieu du mois d’octobre 1990, j’ai terminé le long montage de The Ultimate Weekend. La priorité a alors été de le montrer à Keith Treanor, la star de la vidéo, dans mon salon. À l’époque, il n’y avait ni grande fête ni battage médiatique. J’ai travaillé avec un petit distributeur de vidéos de surf et de skate pour vendre la vidéo. Il a vendu environ 500 copies en quelques mois. J’ai dépensé environ 5000$ de mon propre argent pour réaliser cette vidéo, et j’ai récupéré environ 2500$. Financièrement, ce fut un échec…
Presque tous les freestylers des années 90-91 ont vu cette vidéo à un moment ou à un autre, parce qu’il y avait très peu de vidéos de BMX freestyle à l’époque. C’était la vidéo la plus propre et la mieux montée, réalisée par un rider, lorsqu’elle est sortie. À défaut d’autre chose, j’ai au moins montré la voie montré aux autres riders : « Hé les gars, on peut faire des vidéos correctes nous aussi ! » J’ai réussi à obtenir pas mal de tricks et de spots « jamais vus en vidéo », et j’ai montré des choses comme les mini rampes et le Nude Bowl, qui n’étaient pas apparues dans les vidéos de BMX auparavant.
The Ultimate Weekend a eu un certain impact sur le sport, il a montré un grand nombre de riders différents, des pros chevronnés et de jeunes amateurs, sur toutes sortes de rampes, du dirt, du street et du flat. Le plus important pour moi, c’est que j’ai prouvé que je pouvais réaliser une vidéo de BMX freestyle tout seul. C’était énorme, personnellement. J’avais ce qui était une très grande idée, pour moi, à l’époque. J’ai concrétisé cette idée. Et j’ai eu quelques autres contrats de production vidéo après avoir réalisé cette vidéo.
La vidéo était innovante, car peu de riders avaient réalisé leurs propres vidéos à l’époque. J’ai bossé, j’ai terminé la vidéo et je l’ai distribuée, dans une certaine mesure. The Ultimate Weekend était au final une « démonstration de faisabilité », pas seulement pour moi, mais aussi pour d’autres riders de BMX. C’est pourquoi j’ai passé neuf mois et dépensé 5000$ pour réaliser cette vidéo, en 1990.
Je vous pose donc à nouveau la question : « avez-vous de grands projets en tête ? L’un d’entre eux vaut-il la peine d’être réalisé ? »
Vous seul pouvez répondre à cette question.