Un compte de fait olympique

 Mondialisation: tendance des entreprises multinationales à concevoir des stratégies à l’échelle planétaire, conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié. (J’ajouterais : « sans se soucier de l’Homme et de son biotope »)

Il était une fois, deux frères nommés JR et JB qui vivaient heureux dans un petit coin de paradis. Leur maison, qu’ils avaient construite en récupérant du bois de ci de là, s’ exposait au sommet d’un magnifique terrain arboré : une vraie corniche posée sur un piédestal. Même si, d’en bas, l’habitation avait l’air d’une bicoque brinquebalante, elle pouvait résister à des coups de vents aussi puissants que le souffle du Grand Méchant Loup. Elle possédait, de plus, tout le confort dont JR et JB avaient besoin : couches pour dormir, eau pour boire et se laver, poêle pour se réchauffer et cuisiner… Pour se sustenter, la fratrie cultivait, dans un potager rempli d’espèces maintenant oubliées, de succulents fruits et légumes aussi énormes que s’ils avaient été piqués aux hormones.

Ce lopin de terre avait déjà fière allure, mais ce qui magnifiait le paysage, c’étaient les bosses sculptées dans la terre qui trônaient tout le long du vallon. Elles occupaient toute la surface du terrain, jusqu’au ruisseau qui cheminait en contrebas. Sur leur BMX, JR et JB s’y déplaçaient par des chemins entrelacés ; il fallait les voir descendre chaque passage avec aisance, c’était sensationnel ! Et c’est ce que remarqua, un beau matin de printemps, l’œil intéressé d’un grand seigneur qui passait par là.
– Votre terrain est de bon aloi ! Comment vous nommez-vous ? demanda-t-il aux deux frères.
– Merci monseigneur. Mon nom est JR ; mon frère s’appelle JB.
– Je me présente : seigneur de la Froisse, de la baronnie d’Olympie. Ne voudriez-vous pas concourir au tournoi de BMX que le Baron de Coubertin organise tous les quatre ans ? Vous avez du potentiel, je le vois, vous pourriez y représenter notre fief ; si l’un de vous deux venait à remporter le tournoi, son nom serait connu de tous, l’argent ne serait plus un problème et la main de la princesse lui reviendrait de droit.
– Nous nous en foutons comme en l’an quarante, répliqua vivement JR. Nous ne voulons pas représenter quelqu’un qui taxe d’impôts les pauvres pour donner aux riches privilégiés de sa cour…
– Comme vous voulez. Cependant, si vous changez d’avis, je passe la nuitée à l’Auberge des trois chemins. Vous pourrez me trouver là-bas, la nuit porte parfois conseil…
Le soir venu, tandis que JR dormait à poings fermés, JB n’arrivait pas à fermer l’œil. Il ressassait le discours du grand seigneur et les perspectives de gain qui s’offrait à lui. Il pensait également à la vie qu’il menait avec son frère, une vie quasiment monacale. JB avait envie de changement, et la princesse était la plus belle jouvencelle à des kilomètres à la ronde… Sur un coup de tête, il écrivit un mot à son frère, sortit discrètement de la maison et enfourcha sa fidèle monture afin de rejoindre l’auberge des trois chemins. Dès l’entrée, il aperçut le grand seigneur accoudé au comptoir qui hurla en frappant le zinc de sa main : « J’avais bien noté un brin de concupiscence en toi ! Ton frère ne sais pas ce qu’il rate ! Allez, viens je t’emmène à Olympie, tu ne vas pas être déçu. »
Après quelques jours de voyages ponctués de rencontres insolites, JB et le grand seigneur arrivèrent enfin à destination. JB dût ployer le genou devant le Baron de Coubertin qui fut très affable et accueillant, le Baron lui montra sa chambre au château ; puis, il mena JB jusqu’au site du tournoi en construction, où des centaines d’ouvriers s’affairaient ; enfin, ils se rendirent au skatepark de la cité. Les yeux écarquillés par l’ampleur et la variété du spot qui plus est, complètement vide, JB sauta sur son BMX pour tester les incroyables obstacles tant attendus. Le Baron l’arrêta net: « Tu ne peux point pratiquer mes équipements sans être adoubé ! De plus, tu ne pourras utiliser que les montures de mon écurie, laisse la tienne aux écuyers ! »
Juste après la cérémonie d’adoubement, JB pu enfin poser ses roues sur le spot rêvé, après trois jours d’attente. Il commença par prendre ses repères et lança quelques turndown ou table bien placés, il enchaîna par toute sa panoplie de tricks sur les transferts qu’il avait imaginé dans ses rêves. Il s’amusait comme un fou. Le seigneur de la Froisse qui l’observait depuis le début de la session, vint le trouver et lui dit : « Tu t’adaptes vite dis-donc ! Mais, ne pourrais-tu pas essayer de faire plusieurs whip dans le même saut ? Et les déhanchés ou autres contorsions, c’est séduisant, mais ça ne rapporte que peu de points au tournoi, il faudrait arrêter d’en faire et plutôt te concentrer sur les flips. Il y a plein de variantes, tu verras, je suis certain que ça va te plaire. Le bac à mousse est justement prévu pour essayer. Allez , viens maintenant, il faut que tu sculptes ton corps, allons à la salle de garde . » Jusqu’au coucher du soleil, JB dut courir avec des charges sur le dos, taper avec un maillet sur des billots de bois, enchaîner les séries de soubresaut… Le lendemain, le seigneur lui présenta l’enchanteur du château qui lui enjoint solennellement: « Tu dois boire la potion rouge au lever et la potion bleue au coucher, cela développera tes facultés physiques et mentales. Suis un régime alimentaire strict : fini la bonne chère ! Ton hygiène de vie doit être irréprochable ! »
Le temps passa, inextinguible. JB s’entraînait maintenant depuis plusieurs mois à Olympie et la date du tournoi approchait. Un jour, alors qu’il se rendait à la salle pour s’adonner à ses exercices quotidiens, un chambard l’attira vers la cour. Un homme se démenait comme un beau diable afin d’ échapper à des chevaliers qui lui cherchaient noise. JB s’interposa et entraîna la victime à l’extérieur du château ; Mathieu Bonhomme lui expliqua qu’il était venu spécialement du Nouveau Monde pour apporter son expérience au Baron et que celui-ci voulait l’expulser d’Olympie. S’en suivi une discussion passionnée à propos de l’évolution du BMX où les deux hommes se trouvèrent moult points communs. Mathieu conduisit ensuite JB dans une forêt voisine de la Cité. Ce qu’y découvrit JB l’abasourdit : des milliers de personnes subsistaient ici sous des tentes de fortune, entassées les unes sur les autres, mal-nourries ; le rachitisme des enfants faisait peur à voir.
-Ces gens ont été expropriés, révéla Mathieu, leurs habitations ont été rasées car elles étaient sur le terrain choisi comme site du tournoi. Beaucoup de ces hommes sont les bâtisseurs des énormes infrastructures nécessaires à la foire. Ils travaillent comme des forcenés toute la journée ; le soir, on les reconduit dans la forêt, à l’abri des regards de la noblesse. Le pire est qu’ils n’habiteront jamais les logements qu’ils construisent pour les concurrents et les spectateurs, car tout sera brûlé à la fin du tournoi… Même le skatepark ne profitera pas aux riders du coin : le Baron partagera les modules entre les seigneurs de sa cour. Ces nantis offrent un spectacle à la masse pour dévier son regard de la misère qu’ils créent. En fait, ce tournoi n’est qu’une vitrine pour les Guildes des marchands et des banquiers qui graissent la patte de la noblesse ! Les Guildes s’engraisse et la famine progresse…
En découvrant le pot aux roses, JB eut envie de rendre tripes et boyaux.
-Il faut que j’aille voir mon frère, dit-il. Sois mon compagnon, sieur Mathieu !
Arrivé à la maison, JB trouva son frère en train de préparer la fête annuelle qu’ils organisaient d’habitude la main dans la main. Ils s’embrassèrent longuement et JB raconta :
-Je te présente Mathieu Bonhomme, un bon ami. Il m’a ouvert les yeux sur certaines choses que je ne voulais voir, j’étais focalisé sur mon objectif, l’entraînement… J’en ai oublié tout le reste et toi en particulier. Comment te faire amende honorable ?
-C’est bon de te revoir ! pondéra JR. Tu as simplement cru prendre la bonne décision sur le moment… Venez donc goûter la cervoise juste brassée, vous m’en direz des nouvelles.
-Elle est stupéfiante dis-donc ! cela faisait presque un an que je n’en avais pas bu ! s’exclama JB.
-Quoi ? Toi qui adorais ça, comment as-tu tenu ?
-J’ignore pourquoi j’ai fait toutes ces choses bizarres … Tu sais, je devais soulever des rondins sans aucun autre but que de les soulever. Je sautais dans un bac rempli de mousse pour répéter des tricks, encore et encore ; toujours les mêmes ! Je m’interdisais de faire ripaille… Mais c’est fini, je reste ici avec toi pour toujours. Je réalise à présent que tout ceci ne me correspondait pas.
Après une nuit bien méritée, les deux frères roulèrent et préparèrent leur spot avec Mathieu. Le soir, tandis qu’ils réglaient les derniers détails de la fête qui avait lieu la semaine suivante, ils entendirent des trompettes retentir en contrebas du terrain. Le Baron de Coubertin était là, en compagnie de sa cavalerie, et celui-ci n’avait pas l’air d’humeur joyeuse. Il s’adressa à JB, les yeux injectés de sang : « Je crie haro sur toi, félon ! Tu n’as pas le droit de m’abandonner ainsi. J’ai placé beaucoup d’espoir en toi, tu m’appartiens désormais ! Pour m’assurer que tu me représentes au tournoi, je vais jeter ton frère aux oubliettes, il n’en sortira que si tu deviens champion ! Gardes, emparez-vous de lui ! »
Raccompagné de force à Olympie avec son frère, JB n’eut pas d’autre choix que de redoubler d’efforts : des heures et des heures d’entraînement, des entraînements dans la douleur et dans la souffrance pour repousser toujours plus loin ses propres limites. Pendant ce temps, les amis des deux frères arrivaient à la maison pour la fête, tous surpris d’être accueillis par Mathieu qui leur expliqua immédiatement la situation. L’un deux, Bélier, le bien nommé, poussa alors des cris de Mélusine :
-Ça ne se passera pas comme ça ! Nous défendrons coûte que coûte JR et JB ! Cela fait des années que nous partageons notre passion à leur côté, nous ne les laisserons pas aux mains de ce Baron !
-J’ai un plan ! jubila Mathieu. Direction le tournoi d’Olympie !
En effet, le jour J, alors que les concurrents entraient en lice, les spectateurs virent le site envahi, à brûle-pourpoint, par les amis de la fratrie et les indigents de la forêt, tous à la queue leu leu sur des BMX, dans des lignes interminables sur ce skatepark aux multiples possibilités. L’assemblée entière tomba en pâmoison devant ce spectacle hallucinant et Mathieu en profita pour délivrer JR. Ces derniers, accompagnés de la princesse (qui rêvait depuis sa plus tendre enfance de pratiquer le BMX…), rejoignirent leurs comparses sur le skatepark et livrèrent une représentation originale et mémorable à la foule en délire qui, comme ensorcelée, envahit alors le skatepark en hurlant à la révolte contre le Baron, sa cour et les Guildes. Les maltôtiers n’eurent pas d’autres choix que de s’enfuir à toutes jambes. Jamais plus on ne les revit en Olympie !
La foire terminée, un grand référendum eut lieu chez les acteurs du BMX pour redéfinir en profondeur le tournoi d’Olympie : jeunes, vieux, compétiteurs ou pas, tout le monde eut voix au chapitre. A posteriori, un groupe de travail réfléchit à comment promouvoir tous les styles de riding et que les bénéfices générés par le tournoi ne profitent pas seulement à ceux qui mettent flamberge au vent ; mais aussi à toute la scène BMX, de la formation jusqu’à l’élite. Conséquemment, l’essence même du BMX put régner sur la baronnie et s’étendit au-delà de ses frontières, pour rayonner sur la Terre entière. Le BMX y gagna ses éperons et put couler de jours heureux, jusqu’à l’arrivée des trottinettes… Mais ça, c’est une autre histoire.
Fanch Vuillemin

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